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Un corpus oral en direct

Les linguistes et le portrait sonore d’une ville….

En 1968 une équipe d’universitaire britannique a réalisé « le portrait sonore de la ville d’Orléans ». Il s’agissait de créer la première archive sonore rendant compte de l’hétérogénéité des pratiques linguistiques, dans toutes leurs variétés, au sein d’une ville. 40 ans après le Laboratoire Ligérien de Linguistique a repris ce projet en l’étendant à l’ensemble de la Région Centre afin de réaliser le premier portrait sonore d’une région. Ce projet se développe en partenariat avec le programme Corpus de la parole de la Délégation générale à la langue française et aux langues de France ministère de la Culture et de la Communication.

Outre sa dimension purement scientifique : Décrire à tous les niveaux (de la phonologie à la sémantique et à la syntaxe) la langue française et les langues en contact sur le territoire, et évaluer, à une quarantaine d’années de distance, la dynamique sociale du français (des usages de la langue comme des jugements sur son emploi) ; ce projet cherche à créer un espace de rencontre et de réflexion entre différentes disciplines et domaines s’intéressant à la collecte et à la restitution de « paroles ».

Dans le cadre du projet « Trous de mémoire », la rencontre entre scientifiques et artistes se fera autour d’un projet artistique qui crée de facto un espace de paroles éphémère et néanmoins réel. La parole des habitants du quartier Kennedy prendra une forme particulière tout au long de cet événement. La captation de ces paroles (lors des entretiens comme lors de l’installation) constituera un module du portrait sonore de la Région centre. Comme des photos compléteraient un album de famille, les paroles enregistrées et leurs transcriptions intégreront le corpus sonore et en seront l’un des éléments identitaires. En rejoignant les premiers enregistrements fait dans l’école primaire de Saint-Hilaire-Saint-Mesmin, les entretiens menées à Orléans, les paroles captées dans les rues de l’agglomération orléannaise et les biographies langagières des interprètes de la région, les paroles des habitants de Kennedy compléteront une palette représentative d’une identité linguistique singulière.

Ce projet et la rencontre entre scientifiques et artistes donnera plu précisément lieu à deux espaces de réflexion :

– la méthodologie de collecte de « paroles authentiques ».

Le recueil de « paroles authentiques » ou « spontanée », c’est-à-dire libérée des contraintes d’autosurveillance et de violence symbolique imposée par la situation d’enquête a donné lieu à de nombreux travaux en sociologie (Bourdieu et Passeron, Beaud) est en linguistique. Comment créer une situation où un locuteur peut parler sans se sentir en situation d’enquêté ou d’observé devant produire des énoncés répondant à une évaluation supposée ? La méthodologie développée par les sociologues et les linguistes semble buter sur un paradoxe : observer la parole telle qu’elle est quand on ne l’observe pas. De cette difficulté nait une méconnaissance de la compétence linguistique et de l’hétérogénéité des productions linguistiques réelles des locuteurs, et par delà une non reconnaissance de l’identité des personnes.

Or, si la situation d’entretien dans un cadre scientifique bride toujours la parole ce n’est pas le cas dans un cadre artistique où la relation artiste-locuteur devient un élément central et valorisé. L’artiste intervieweur conduit un événement bien éloigné de l’interrogatoire. Il s’agira ici d’apporter des regards croisés afin de définir les différences méthodologiques (mode d’approche, catégorisation des rôles, conduite de l’entretien, etc.) quitte à inventer une nouvelle forme de conversation.

– la transcription et la restitution graphique des paroles sonores enregistrées.

Une parole enregistrée peut prendre une multitude de formes graphiques plus ou moins proches d’une norme dans laquelle chacun se reconnait et se distingue. Ainsi la transcription de paroles enregistrées peut s’effectuer avec une recherche de fidélité des éléments sonores et/ou du sens de l’énoncé ou bien respecter la norme de la langue écrite. La démarche scientifique nécessite souvent le respect d’une fidélité intégrale qui amène les scientifiques à produire une transcription reçue comme dévalorisante voire stigmatisante car éloignée de la norme de la langue écrite. A partir d’outils informatiques synchronisant le signal sonore et des versions de transcriptions il est possible de développer autant de formes graphiques différentes d’un même enregistrement sonore. La confrontation de ces différentes formes graphiques, de la plus technique à la plus esthétique en passant par la plus normative apporte un nouveau regard sur la restitution de paroles sonores enregistrées et offre la possibilité d’un nouveau rapport à la matérialité de sa propre langue.